Crise sanitaire : les propositions se multiplient pour penser un après plus écologique

Crise sanitaire : les propositions se multiplient pour penser un après plus écologique

7 avril 2020Émilie Massemin (Reporterre)

Le monde sortira un jour de la pandémie du Covid-19 et devra relever un système économique exsangue, voire le transformer en profondeur pour que les mêmes maux n’apparaissent plus. Afin de préparer dès maintenant la suite, les initiatives fleurissent : parlementaires, associatifs, syndicats…

Bruno Le Maire l’a prédit au Sénat lundi 6 avril : la France devrait connaître la pire récession de son histoire depuis la Seconde Guerre mondiale. Comment rebondir après une crise aussi grave ?

« Le jour d’après ne sera pas un retour au jour d’avant », a promis Emmanuel Macron lors de son intervention télévisée du 16 mars dernier. Pourtant, les premières décisions gouvernementales ne laissent rien présager de bon : détricotage du Code du travailrefus de restaurer l’impôt sur la fortunesoutien à l’industrie fossile et aéronautique…

À l’inverse, de nombreux Français réclament un changement de modèle. Selon un sondage publié par le quotidien Libération mardi 31 mars, 84 % des sondés appellent de leurs vœux la relocalisation en Europe d’un maximum des filières de production ; 69 % veulent 

« ralentir le productivisme et la recherche perpétuelle de rentabilité » ; 88 % réclament un « accès à l’eau et à un air de qualité » et 76 % à la « biodiversité ». Les 150 membres de la convention citoyenne pour le climat, qui travaillent depuis six mois sur des réponses à la crise climatique, ont aussi débattu d’une stratégie de sortie de la crise du Covid-19 lors d’une session en visioconférence les 3 et 4 avril. Leur emboîtant le pas, des élus et des associations ont lancé des outils pour inventer collectivement une relance synonyme de transition écologique et sociale, et peser pour l’imposer face à celles et ceux qui préconiseraient plutôt le retour au business as usual.

Reporterre vous propose un tour d’horizon des initiatives en cours.

« Plus jamais ça », la pétition des organisations pour un « jour d’après écologique, féministe et social »

Quinze organisations [1] ont lancé ce mardi 7 avril une pétition [2] appelant à des mesures d’urgence ainsi que de moyen et long termes pour surmonter la crise et « reconstruire ensemble un futur écologique, démocratique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral ».

Ils réclament dans un premier temps l’arrêt immédiat des activités non indispensables pour faire face à l’épidémie, les réquisitions des établissements médicaux privés et des entreprises afin de produire « tout le matériel nécessaire pour sauver des vies », la suspension immédiate des versements de dividendes, rachats d’actions et bonus aux PDG et le ciblage des 750 milliards d’euros injectés par la Banque centrale européenne (BCE) uniquement vers les « besoins sociaux et écologiques » des populations. Pour le long terme, ils préconisent un plan de développement de tous les services publics, une fiscalité « bien plus juste et redistributive » avec un impôt sur les grandes fortunes, une taxe sur les transactions financières renforcée et une « véritable » lutte contre l’évasion fiscale, ainsi qu’un plan de réorientation et de relocalisation solidaire de l’agriculture, de l’industrie et des services.

« Nos organisations représentent plusieurs centaines de milliers de membres. Malgré des cultures militantes et des revendications différentes, nous nous retrouvons sur des mesures fortes qu’il est tout à fait possible de mettre en œuvre rapidement, indique à Reporterre Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac. Face à l’urgence, il faut la convergence d’un grand nombre de forces citoyennes sur des valeurs communes, comme les droits sociaux, pour peser face à un gouvernement incapable de prendre les bonnes décisions. » Elle s’attend déjà à ce que la bataille soit rude. « Les premières mesures adoptées par le gouvernement, comme la levée du Code du travail et le démantèlement des acquis sociaux, suggèrent qu’il veut continuer à approfondir sa logique néolibérale et autoritaire et prépare une stratégie du choc. Il ne faut pas oublier que lors du premier Conseil des ministres dédié à l’épidémie de Covid-19, il a annoncé le recours au 49.3 pour la réforme des retraites ! Il appelle aux dons pour sauver les petits commerçants mais n’envisage pas de retour à l’impôt sur la fortune et ne remet pas en question sa politique favorisant les ultra-riches. Face à cela, il va falloir montrer qu’on peut mener des politiques différentes capables de répondre aux besoins écologiques et sociaux des populations. »

« Le jour d’après », la plate-forme de contributions citoyennes lancée par les parlementaires

Samedi 4 avril, une soixantaine de parlementaires ont mis en ligne une plateforme destinée à recueillir pendant un mois les idées des citoyens et des associations pour une sortie de crise permettant une transition écologique et sociale. Interdiction du plastique, mesures en faveur d’une autonomie alimentaire de la France, relocalisations, sauvegarde et développement des services publics, réduction du nombre de voitures en ville… Lundi 6 avril au matin, plus de 2.000 contributions et réactions avaient déjà été postées.

« Après les crises précédentes, et notamment celle de 2008, on est repartis business as usual. Nous traversons aujourd’hui une crise sanitaire, sociale et économique terrible. C’est maintenant qu’il faut réfléchir au jour d’après, car ce n’est pas quand le confinement sera levé et qu’on aura la tête dans le guidon pour sauver des secteurs entiers de l’économie qu’on en aura le temps. Et nous, parlementaires qui devrons voter les budgets et les lois destinés à remettre la France sur les rails, sommes en première ligne de cette réflexion. L’idée de cette plateforme est de mener cette réflexion tous ensemble, en construisant une intelligence collective », dit à Reporterre Barbara Pompili, députée (La République en marche - LREM) de la Somme. Une fois la consultation terminée, les parlementaires prévoient d’en livrer rapidement une synthèse puis d’en tirer « une vingtaine ou une trentaine de propositions, à creuser et à porter collectivement sous forme de propositions de lois ou d’amendements à des lois ou au budget », indique la députée. « Cela leur apportera un poids politique qu’on espère le plus fort possible. »

Pour Mme Pompili, le rejet par le Parlement d’un amendement destiné à intégrer à la loi sur l’état d’urgence sanitaire un « grand plan de relance et de transformation de notre société en faveur du climat, de la biodiversité et de la justice sociale », dimanche 22 mars, ne laisse rien présager de la suite : « La plupart des députés qui ont participé au lancement de la plateforme avaient signé cet amendement. Certes, il a été rejeté, mais il avait surtout vocation à lancer le débat sur l’après, ce qui est chose faite. »

Mais pour Ronan Dantec, sénateur écologiste de Loire-Atlantique, la vigilance reste de mise. « L’enjeu climat était très fort aux élections municipales, mais on ferait une grave erreur de penser que c’est idéologiquement gagné, dit-il à ReporterreLes émissions de gaz à effet de serre n’ont jamais été aussi hautes que deux ans après la crise de 2008. Actuellement, le prix du pétrole est très bas, ce qui peut compromettre la stratégie de remplacement des énergies fossiles par des énergies renouvelables. Il existe un vrai risque que les sociétés relancent à tout crin en donnant la priorité à l’emploi au détriment des enjeux sociaux, climatiques et environnementaux. » Pour l’heure, lui préfère se concentrer sur l’urgence — notamment la pédagogie sur les gestes barrière dans sa circonscription. Mais quand l’épidémie sera terminée, il veillera à ce que « tous les acteurs qui portent des propositions sur l’après-crise dialoguent entre eux ».

Le jeudi 19 mars, le député La France insoumise de la Somme François Ruffin avait lancé sa propre plateforme, « L’an 01 », recueillant des témoignages de citoyens destinés à nourrir un projet de livre sur l’après-crise. « Quelle leçon tirer de cette pandémie ? Le chacun pour soi ? La guerre de tous contre tous ? Ou, au contraire, la remise en cause d’une économie qui a écrasé la vie ? D’une planète qui tourne à l’envers ? Je vais écrire un bouquin, et je vous invite à le corédiger avec moi, en direct, y contribuer, le compléter », écrit-il en guise d’appel. Lundi 6 avril au soir, il n’avait pas répondu au message de Reporterre.

Le Réseau action climat livre ses propositions « pour une plus grande résilience face aux crises »

Dans un copieux document de sept pages mis en ligne vendredi 3 avril, le Réseau action climat (RAC) propose de grandes orientations pour gérer l’urgence et préparer la suite : sauver un maximum d’entreprises à court terme certes, mais préparer un plan de sortie de crise de moyen terme qui favorise les relocalisations, conduise les industries à diminuer leurs pollutions et leurs émissions de gaz à effet de serre et incite les consommateurs et les pouvoirs publics à favoriser les produits respectueux de l’environnement et à lutter contre l’obsolescence programmée. Le tout dans un esprit de justice sociale — en accélérant la rénovation énergétique des logements et en accompagnant dans la transition les travailleurs des industries les plus polluantes notamment — dans un cadre économique où la règle d’airain des 3 % de déficit public serait durablement assouplie et où tous les investissements seraient fléchés vers la transition écologique.

« On ne prétend pas savoir quand on sortira de la crise et la priorité reste la solidarité avec les malades, l’hôpital public et le secteur de la santé, précise à Reporterre Neil Marakoff, du RAC. Mais après, comment ne pas reproduire les mêmes erreurs qu’en 2008 ? Car nous sommes face à une crise sanitaire qui a une source environnementale — le trafic d’animaux sauvages —, aggravée par la mondialisation — comme le montrent les pénuries de médicaments — et qui touche plus gravement les ménages les plus précaires et les plus pauvres — revenus précaires, mal-logés, etc. On ne pourra pas faire un reset du vieux monde après cette crise, qui a mis en lumière les vulnérabilités de notre société. » Pour l’heure, le document a été envoyé aux différents ministères dont ceux de l’Économie et de la Transition écologique et solidaire. « Il est surtout destiné à nourrir le débat public. Nous essaierons d’apporter des propositions concrètes plus tard, tout en discutant avec les autres acteurs qui mènent des travaux similaires. »

Vers une « convention citoyenne » de l’après-crise, à l’appel de Démocratie ouverte ?

Dans une tribune qui sera publiée dans les jours à venir, le collectif Démocratie ouverte préconisera la mise en place d’une assemblée citoyenne pour définir le « plan de transformation » de la société à mener en sortie de crise. « Nous pourrions proposer à la convention citoyenne pour le climat de se saisir de ce sujet d’un plan de relance écologique et social, ou créer une nouvelle convention citoyenne ad hoc d’une centaine de citoyens tirés au sort, qui pourraient se réunir au vert un mois cet été et réfléchir à une série de mesures », explique à Reporterre Armel Le Coz, cofondateur du collectif et également membre des Gilets citoyens, qui avait élaboré avec le gouvernement le projet de convention citoyenne pour le climat. Il ne cache pas son inquiétude : « Nous allons peser de tout notre poids pour l’éviter, mais le scénario d’un plan de relance de la vieille économie d’hier, approuvé par des lobbies bien placés, est le plus probable. Or, une grande partie de la population aspire à une société plus écologique et plus sociale. Le gouvernement ne peut pas définir un plan de relance qui nous endette à hauteur de milliards d’euros sur des dizaines d’années, et qui affectera les générations futures, à coups d’ordonnances sans consulter la population. Ce serait un coup de force. »