L’érosion de la biodiversité, une menace pour l’humanité

L’érosion de la biodiversité, une menace pour l’humanité

Le 23 mars 2018 par Romain Loury             


  La biodiversité connaît une crise sur tous les continents, mettant en danger l’humanité, selon 
quatre rapports régionaux (*) publiés vendredi 23 mars par l’IPBES, le «Giec de la biodiversité». Parmi les principaux facteurs de pression, l’agriculture, la déforestation, le changement climatique et les espèces invasives.

Approuvés par les représentants des 129 Etats membres de l’IPBES[i], lors de sa 6ème session plénière qui se déroule du 17 au 24 mars à Medellín (Colombie), ces quatre rapports, chacun relatif à une zone géographique (Afrique, Amériques, Asie/Pacifique, Europe/Asie centrale), dressent un tableau bien sombre de l’état de la biodiversité. Car à quelques petites exceptions, comme la hausse mondiale des surfaces protégées, tous les indicateurs sont au rouge.

L’HOMME, COUPABLE ET VICTIME

Cette sixième extinction massive –la cinquième remontant à la transition Crétacé-Paléogène, il y a 65 millions d’années avec la disparition des dinosaures- s’illustre par un taux de disparition des espèces 100 fois plus élevé que dans les périodes de stabilité. Et l’homme est sans conteste la cause principale, voire unique, de ces disparitions en masse.

Bien au-delà de quelques espèces emblématiques, cette chute de la biodiversité constitue pour l’humanité une menace aussi inquiétante que le changement climatique. Exemple, les pollinisateurs, objet du premier rapport de l’IPBES (publié en février 2016), dont le déclin mondial pose un défi majeur en termes de sécurité alimentaire.

«La biodiversité et les contributions de la nature à l’humanité ne semblent, pour beaucoup de gens, que de nature académique et très éloignées de la vie quotidienne», note le président de l’IPBES, Robert Watson.

 «Rien n’est plus faux: elles constituent le socle de notre alimentation, de notre eau et de notre énergie. Elles sont la condition de notre survie, mais aussi le cœur de nos cultures, de nos identités et de la joie de vivre», ajoute l’ancien président du Giec.

EUROPE/ASIE CENTRALE

En Europe comme ailleurs, ce sont les changements d’usage des sols (suivis du changement climatique) qui sont la première cause de déclin de la biodiversité, en particulier l’agriculture intensive, l’exploitation forestière, l’extraction minière et l’urbanisation. Un constat partagé cette semaine par des chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui attribuent à l’agriculture, en particulier aux pesticides, la disparition depuis 2001 d’un tiers des oiseaux dans les campagnes françaises.

Selon l’IPBES, 28% des espèces endémiques à l’Europe et à l’Asie centrale sont menacées d’extinction. Parmi les plus en danger, les mousses (50% des espèces), les poissons d’eau douce (37%), les plantes vasculaires (33%) et les amphibiens (23%). Pas étonnant, quand on sait que 50% des zones humides européennes ont été asséchées depuis 1970. Au cours de la décennie écoulée, 71% des espèces de poissons d’eau douce et 60% de celles d’amphibiens ont vu leurs effectifs décliner.

AFRIQUE

Terre des derniers grands mammifères, l’Afrique va bien mal, du fait du changement d’usage des sols, du réchauffement et d’un braconnage intensif. Le tout sur fond de forte croissance démographique : la population (actuellement de 1,25 milliard de personnes) devrait doubler d’ici à 2050. Avec tous les dégâts que cela engendrera en termes d’urbanisation et d’infrastructures.

Pour la Sud-Africaine Emma Archer, coprésidente du rapport «Afrique», ce continent «est extrêmement vulnérable aux impacts du changement climatique [plus prononcé qu’ailleurs], et cela aura des conséquences très sévères sur des populations déjà très marginalisées d’un point de vue économique. D’ici à 2100, le changement climatique pourrait entraîner la perte de plus de la moitié des espèces africaines d’oiseaux et de mammifères, réduire de 20% à 30% la productivité des lacs et faire disparaître une part importante des espèces végétales».

ASIE/PACIFIQUE

Continent le plus peuplé (4,5 milliards d’habitants), l’Asie est aussi fortement menacée par le réchauffement, notamment par les phénomènes de sécheresse (Inde) ou de montée du niveau de la mer. Certes, les zones protégées y deviennent plus fréquentes, et elle fait l’objet d’une reforestation massive dans certaines régions: le couvert forestier s’est ainsi accru de 22,9% entre 1990 et 2015 en Asie du Nord-est, de 5,8% en Asie du Sud. Ailleurs, la forêt tropicale est sous forte pression, notamment celle de la production d’huile de palme en Indonésie et en Malaisie.

Menacée par l’explosion des déchets et la pollution, l’Asie souffre de la surpêche, d’une aquaculture peu soutenable (avec un taux de croissance annuelle de 7% par an, elle constitue près de 90% de la production aquacole mondiale) et d’une forte dégradation de son littoral. A ce rythme de prélèvement des poissons, le continent pourrait bien ne plus compter de stock exploitable de poisson d’ici à la moitié du siècle. Et 90% de ses coraux devraient continuer à se dégrader, même dans les scénarios climatiques les plus optimistes, note l’IPBES.

AMÉRIQUES

Selon les auteurs de ce rapport, le changement climatique pourrait rattraper le changement d’usage des sols, comme cause de déclin de la biodiversité, d’ici à la moitié du siècle. L’Amérique est elle aussi victime d’une forte déforestation, avec 9,5% de couvert forestier en moins depuis 1990 en Amérique du Sud, 25% de moins en Amérique centrale. Depuis l’arrivée des premiers colons européens, le nombre d’espèces américaines, végétales ou animales a diminué de 31%, chiffre qui pourrait atteindre 40% en 2050.

Ces quatre rapports régionaux sont le fruit de trois ans de travail de 550 experts mondiaux issus d’une centaine de pays. D’une longueur de 800 à 1.000 pages chacun, ces documents font l’objet d’une synthèse, sous forme de résumés à l’intention des décideurs. Ils seront suivis, lundi 26 mars, d’un rapport thématique sur l’état des sols dans le monde.