journal la Vie 16-07-2013

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Accident de Brétigny : le Centre se mobilise pour garder sa ligne

L’accident du Paris-Limoges pointe la nécessité de moderniser le réseau existant. Un combat vital mené notamment dans la Creuse contre les LGV.

 

« Contre le barreau LGV Limoges-Poitiers. Pour la Creuse, exigeons le maintien et le développement de la ligne POLT. » Dans la rue principale de La Souterraine, le calicot sur fond rouge est installé depuis mai. « Bien avant le drame de ­Brétigny-sur-Orge, car notre démarche est antérieure : elle est d’abord celle d’un territoire qui veut continuer à vivre », s’empresse d’ajouter Jean-François Muguay, le maire PS de cette petite ville de 5 500 habitants situé dans le nord de la Creuse. POLT, c’est, en effet, le terme en abrégé pour désigner la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, empruntée par le train 3657 Paris-Limoges qui a déraillé à ­Brétigny-sur-Orge, vendredi 12 juillet, à 17 h 14, peu après son départ de la gare d’Austerlitz. Causant la mort de six personnes, et occasionnant plus d’une centaine de blessés, dont une dizaine toujours dans un état grave. C’est un des plus terribles accidents ferroviaires survenus en France depuis 25 ans.

Parmi les 385 passagers, 92 devaient descendre à La Souterraine. Comme Christian (le prénom a été changé), qui a une résidence familiale dans la Creuse et se trouvait dans l’une des voitures qui s’est couchée sur les rails dans la gare. Traumatisé – il a dû enjamber un corps décapité pour sortir de son wagon éventré –, il a choisi de consulter la cellule de soutien psychologique mise en place par la SNCF. Même s’il estime que « n’importe quel week-end cause autant – sinon plus – de morts et de blessés sur les routes, une des conséquences de ce drame ferroviaire, c’est qu’il hâtera sans doute la nécessaire modernisation de cette ligne délaissée par les pouvoirs publics depuis des années ».

« Cette ligne est vitale pour nous, Creusois, mais aussi pour un grand nombre d’habitants du centre de la France et du Massif central. Notre gare est empruntée chaque année par 160 000 voyageurs venant de tout le département et également du sud de l’Indre et du nord de la Haute-Vienne », rappelle Jean-François Muguay. Ainsi, le collectif Urgence POLT, qui rassemble presque tous les élus des agglomérations desservies par la ligne de Vierzon à Cahors – à l’exception de ceux de Limoges – a publié des chiffres qui en montrent les enjeux : 713 km de voies ferrées qui desservent 32 départements, sept grandes agglomérations, quatre régions, et donc, potentiellement, 5 millions d’habitants. Le POLT, une ligne de vie, titrait ainsi le quotidien La Montagne dans une série de reportages publiés dans son édition creusoise, en juin.

Pourtant, pour mieux desservir cette France délaissée – que, dans les années 1980, les spécialistes de l’aménagement du territoire appelaient « la diagonale du vide » –, les projets n’ont pas manqué. Notamment pour supprimer la centaine de passages à niveau entre Paris et Toulouse, qui obligent les trains à rouler à moins de 160 km/h. Ainsi, le 13 novembre 2001, une convention était signée entre la SNCF et l’État pour une modernisation complète de la ligne au coût de 242 millions d’euros. Mais, en 2003, un audit, commandé par Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, se révélait défavorable et remettait en question l’ensemble des financements. Depuis, c’est surtout le projet de construire un barreau de Ligne à grande vitesse (LGV) entre Limoges et Poitiers, une branche défendue par la majorité du conseil régional du Limousin et surtout par Alain Rodet, le député-maire PS de Limoges, qui a retardé la modernisation de la ligne.

Ce projet estimé à au moins 1,5 milliard d’euros a d’abord été vivement combattu par les écologistes, non seulement à cause de son coût financier démesuré, mais aussi de ses nombreuses atteintes à l’environnement : destruction du bocage et des haies des monts de Blond et de la vallée de la Glayeule, mais aussi éventration de la magnifique forêt du Palais-sur-Vienne, tout une zone de développement de « tourisme vert ». Yvan Tricart, élu écologiste de cette commune et porte-parole de la Coordination des riverains et impactés (CRI) par le barreau LGV Limoges-Poitiers, dénonce « le projet du prestige de quelques-uns contre l’intérêt général de tous ».

Au début de la fronde contre le projet de LGV Limoges-Poitiers, les élus de gauche creusois furent, eux, relativement discrets. Un bon connaisseur du dossier note que « par solidarité politique, un certain nombre d’entre eux a feint de croire qu’il était possible d’avoir à la fois le TGV à Limoges et la modernisation de la ligne Paris-Toulouse ». Mais la fuite dans la presse, fin janvier, d’une lettre de Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, a jeté un pavé dans la mare. En effet, dans ce courrier destiné aux financeurs de la LGV, ce haut fonctionnaire écrit que la rentabilité de la LGV Limoges-Poitiers « ne pourra être atteinte qu’avec un transfert des passagers utilisant la ligne POLT ». Et de recommander que les horaires existants à l’heure actuelle dans les gares desservies, dont celle de La Souterraine, passent de 11 à 7, puis à seulement 4 allers-retours !

Le sang de Michel Vergnier, le bouillant député-maire PS de Guéret, ne fait alors qu’un tour. Président de l’Association des maires de Creuse, qui regroupe les 250 maires de toutes tendances de son département, il décide, lors d’une assemblée générale extraordinaire en mars, d’imprimer les calicots et de manifester à la gare de La Souterraine. « Nous avons l’habitude des combats pour le territoire qui dépassent les clivages politiques gauche/droite, souligne-t-il. Déjà, l’année dernière, nous avions obtenu, par les mêmes moyens, le maintien du service de radiothérapie à l’hôpital de Guéret. Car, avec le 1,5 milliard économisé pour la LGV, on peut en faire, des choses vraiment utiles pour des départements ruraux comme le nôtre. Comme améliorer le matériel, la sécurité et la régularité des TER et des intercités. »