Débat avec JC SANDRIER juilet 2013

Catastrophe de Brétigny : quel destin pour le Limoges-Paris ?

Publié dans RAGEMAG le 16 juillet 2013 par Elyse Khamassi

Il aura fallu le déraillement du Paris-Limoges .../..., pour que les médias mettent les pieds dans la campagne limousine .../...., savent-ils qu’une bataille se livre dans les terres du milieu depuis des années pour sauver cette ligne historique, appelée le POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse) ?,.../....

Débat avec JC SANDRIER, président de l’association Urgence Ligne POLT, ex-député du Cher et membre honoraire de l’Assemblée nationale

Vous tirez la sonnette d’alarme et réclamez la rénovation de la ligne POLT depuis 4 ans. Quelles preuves concrètes avez-vous à apporter quant à son mauvais entretien, autant au niveau du rail que des trains ?

Brétigny

Je peux difficilement dire mieux que ce qu’a dit le président de la République suite au drame de vendredi, à savoir que le réseau ferroviaire classique a été, pendant des années, peut-être pas abandonné, mais qu’il y a eu un sous-investissement évident, notamment en matière d’entretien, donc d’infrastructures, mais aussi de matériel. Tout le monde l’a constaté, c’est la raison pour laquelle d’ailleurs, la commission Duron « Mobilité 21 » demandée par le gouvernement, a établi la nécessité d’accorder la priorité absolue à la rénovation des lignes classiques.

Vous avez entendu comme moi le Premier ministre, l’effort sur les quinze ans ça sera sur les lignes classiques, c’est bien la reconnaissance qu’il y a une faiblesse importante en matière de maintenance et d’entretien de ces lignes. Le rapport Duron en cite quatre qui ont besoin d’une attention très particulière, dont Paris-Orléans-Limoges-Toulouse.

Cette prise de conscience portée par le rapport Duron, est-ce vraiment une nouveauté ?

Nous l’avions noté depuis longtemps, nous avons même rédigé un mémorandum pour faire des propositions de rénovations, pour qu’il y ait un schéma directeur d’investissement qui soit décidé. Or ce qui est très important, c’est que la SNCF a donné son accord, RFF a donné son accord, et très récemment, puisque cela date de mars, le ministre s’est déclaré très ouvert à la mise en place de ce schéma directeur d’investissement.

Maintenant, il faut mettre les choses en place. Ce que l’on demande et que l’on va demander, avec plus d’insistance encore désormais, c’est la mise en place d’un comité de pilotage, pluraliste. C’est-à-dire pas seulement des techniciens, pas seulement SNCF et RFF, mais aussi des élus, des forces économiques, des usagers représentés par des associations. Il faut vraiment que cela soit un travail collectif et défini notamment pour les trois à cinq années qui viennent, les investissements importants en matière de renouvellement de matériel, c’est-à-dire de train et de modernisation d’infrastructure.

Depuis 2003, un projet de LGV Limoges-Poitiers a été proposé, réduisant le temps de parcours entre Limoges et Paris. Est-il envisageable que l’entretien de la ligne POLT puisse avoir été délaissé durant des années, afin de favoriser un investissement financier pour ce projet de LGV ?

On sait pertinemment que les lignes à grandes vitesse qui ont été privilégiées les 20-30 dernières années se sont réalisées au détriment de la qualité des lignes classiques. Tout le monde le sait, c’est une réalité qu’il faut changer aujourd’hui.

Il n’y a pas eu d’attention comme elle devrait être portée à ces lignes, ça c’est certain. Il est probable que dans la réflexion de certaines instances, la perspective du barreau LGV Poitiers-Limoges qui semblait être acquise à un moment donné ait pu influer, de manière négative, sur les investissements de la ligne classique.

Avant le projet de LGV, qu’en était-il de l’éventuelle rénovation du POLT ?

Il faut savoir qu’il y a eu plusieurs projets de rénovation de cette ligne, depuis l’idée du Y renversé qui date de 30 ans, au train pendulaire des années 2000 qui devait être financé et que le gouvernement Raffarin, en 2003, a abandonné justement avec l’idée de faire un barreau Poitiers-Limoges. Voilà ce qu’il s’est passé.

Cette ligne, en 2004-2005, aurait dû être totalement modernisée puisque devait y rouler un pendulaire qui était financé et que Monsieur Raffarin a abandonné ce projet. Ce ne serait pas sérieux de lui donner une responsabilité dans l’accident, mais cela fait un moment que cette ligne aurait du être modernisée. L’État était d’accord, les régions étaient d’accord, la SNCF et RFF aussi. Ce projet était financé, et en définitive, il a été abandonné au profit d’un hypothétique barreau Poitiers-Limoges.

Je dis que sur le fond, ceux qui ont pris cette initiative, ce n’est pas particulièrement heureux. Aujourd’hui, tout le monde s’aperçoit qu’il faut revenir à des choses simples, concrètes, et moderniser les lignes classiques !

Que proposer comme alternative à la ville de Limoges qui se réjouissait à l’idée d’une LGV la rapprochant de Paris ?

Aujourd’hui, y compris sur un Paris-Limoges, on peut beaucoup réduire le temps mis actuellement, par un certain nombre de travaux et surtout en mettant des matériels qui peuvent rouler à 220 km/h, ce que la SNCF propose à l’État.

Comme par exemple en remplaçant des trains Teoz par des rames TGV ?

Absolument. C’est une possibilité, la SNCF l’a proposée. L’État n’a pas encore répondu à cette demande, puisque j’ai entendu Jean-Marc Ayrault évoquer des trains nouveaux. Moi j’attends de savoir ce que cela veut dire des « trains nouveaux » pour cette ligne, sachant qu’il a mis une limite jusqu’en 2020 pour changer ces trains. Je trouve que cela n’est pas acceptable.

Qu’attendez-vous de l’État dans ce cas ?

La SNCF proposait de changer l’ensemble des matériels dans les 2 à 3 ans qui viennent, je pense que c’est le bon objectif, et qu’il ne faut pas aller au-delà. Se fixer une perspective à 7 ou 8 ans, ce n’est pas sérieux, surtout après ce qu’il vient de se passer. Les usagers ne le comprendraient pas, et ils auraient raison.

Je pense qu’il faut se mettre dans une situation d’amélioration très rapide, et des infrastructures qui en ont besoin, et du matériel Teoz, qui est complètement dépassé, obsolète. On a essayé de nous faire avaler, quand il y a eu l’abandon du pendulaire, que le Teoz était un train plus moderne mais je pense que c’était un peu, excusez moi, se foutre de la gueule du monde. Aujourd’hui il faut passer des discours aux actes, et pas dans 10 ans, pas dans 15 ans, mais dans les 3 à 5 ans qui viennent.

Ce qui menaçait le POLT était également le projet de LGV reliant Limoges à Poitiers, approuvé en mars par le ministre des Transports. Pourquoi l’abandonner ?

Je suis président d’une association qui n’a jamais pris parti, de manière aussi directe à ce débat, « pour LGV anti LGV ». Nous nous sommes toujours battus sur l’idée que La France avait trois radiales ferroviaires, et qu’elle a besoin de ces trois radiales. POLT en fait partie, nous en avons besoin en terme de voyageurs et en terme de fret, donc cette ligne, dans tous les cas de figure, non seulement il ne faut pas l’abandonner, mais il faut la moderniser, de façon à ce qu’elle soit performante. Nous nous sommes toujours situés par rapport à cette question-là uniquement. Nous ne nous sommes jamais déclarés contre une LGV Poitiers-Limoges.

 

Cependant vous avez porté le débat sur une problématique nouvelle, celle du POCL ?

Oui, depuis 4 ou 5 ans, la perspective d’une LGV Paris-Orléans-Clermont-Lyon (POCL) change la donne, puisque cette ligne se fera. Le rapport Duron est très clair, s’il y a au moins une ligne à grande vitesse en France qui se fera c’est celle-ci. Elle serait liée à la saturation de Paris-Lyon actuelle et le rapport Duron dit qu’il ne s’agit pas d’une hypothèse, cette saturation est une certitude. Par contre on ne sait pas exactement la date…

Si cette ligne se fait, évidemment le problème sera posé de l’interconnexion avec la ligne actuelle POLT, et de toute évidence, si on est très objectif, ça sera beaucoup plus rentable économiquement, notamment pour les usagers, en terme de temps, de se relier à cette ligne POCL pour aller vers Paris, mais aussi pour aller vers Lyon, que d’avoir un barreau Poitiers-Limoges. Ça rendra infiniment plus de services, ça desservira plus de territoires. La rapidité sera la même et on aura un maillage plus efficace de nos territoires.

C’est pour cela qu’au colloque, à Paris, j’avais proposé que tous les élus et tous les acteurs économiques de ces territoires se réunissent pour examiner quelle était la solution la plus intelligente en terme de maillage entre ligne classique et ligne à grande vitesse. Cette réunion reste à faire, et même si les échéances sont repoussées à une quinzaine d’années, pour la mise en œuvre, il n’est pas trop tôt pour y réfléchir quand même.

La LGV Paris-Poitiers représentait un investissement de 2 milliards d’euros, c’était de toute façon bien trop élevé ?

C’est surtout que ce n’est pas rentable. La SNCF depuis le début n’en voulait pas à cause de cela.

En janvier dernier, une lettre du directeur des Infrastructures et des Transports demandait à tous les acteurs du financement de la LGV Poitiers-Limoges de se prononcer en faveur soit du POLT, soit de la LGV, admettant clairement la non-rentabilité de la LGV, puisque pour la rendre rentable, il était imposé une réduction conséquente du trafic sur le POLT. C’est cette lettre qui vous fait dire cela ?

Il a fallu que le directeur au cabinet du Ministre écrive en effet cette lettre qui a fait sensation, pour dire « voilà, nous on propose que, de 11 allers retours avec Paris, on tombe à 7, puis même à 4 » pour faire se lever pratiquement tous les élus. Ça veut bien dire ce que ça veut dire : qu’on fait une LGV en sacrifiant une ligne classique. Si elle rendait le même service, on pourrait éventuellement s’interroger, mais on sait que ça n’est pas le cas. Sans doute elle rend service à Limoges et à la région autour de Limoges, mais elle oublie de très nombreux directoires, et surtout, cela ne la rend pas plus rentable sur 20 à 30 ans.

L’idéal ce serait que ces deux lignes, en se connectant, se renforcent. Mais, soyons objectif et tout à fait honnête, ça n’aurait pas été le cas.

Vous dites que la lettre du DITM a fait bondir tous les élus. C’est-à-dire que la Creuse, l’Indre, le nord de la Haute Vienne, la Corrèze ont durci leur prise de parti en faveur du POLT ? La LGV ne leur profitait pas ?

Tout le monde sait très bien qu’on abandonnait une partie des territoires avec la LGV. La Creuse et ses élus se sont énormément manifestés pour dire qu’ils seraient abandonnés, mais pas seulement la Creuse. Tout ce qu’il y a au sud, entre Vierzon et La Souterraine, ainsi qu’au sud de Brive, étaient des territoires qui étaient abandonnés. Ce n’était pas une bonne solution.

Vous semblez faire confiance au rapport Duron, il n’y aura pas de barreau, donc ?

Il n’y aura pas de barreau, s’il y en a un un jour, ce ne sera pas avant 2030, donc vraiment pendant les 15 ans qui viennent il faut se mettre dans cette perspective de priorité absolue aux lignes classiques, et donc au POLT.

Et je le dis, la grande question aujourd’hui, c’est d’arrêter les discours et de passer aux actes, notamment à ce schéma directeur d’investissements pour le matériel, pour les infrastructures, mettre les financements en face, parce que c’est possible, et faire un calendrier de mise en œuvre. Et nous allons nous battre dans cette direction, nous allons nous battre là-dessus, pour que dès maintenant et dès la rentrée il se passe des choses très concrètes.

Le rapport Duron n’écarte pas un éventuel financement privé de ces travaux de rénovation. Vous n’êtes pas inquiet ?

BrétignyIl n’y a pas besoin de financement privé pour rénover des lignes classiques. De l’argent, il y en a, il y en a beaucoup et je pense même qu’il y en a qui en ont beaucoup trop et qui l’utilisent très mal.

Moi j’ai été député, dans un groupe communiste, et on a fait une proposition de loi pour qu’il y ait un livret spécial destiné aux infrastructures ferroviaires, pour le financement de ces infrastructures. Un peu comme le livret A permettant de financer le logement, il y aurait une mobilisation d’argent qui pourrait permettre de subventionner de manière publique ces investissements. Il faut arrêter de se tourner vers le privé comme vers un truc miraculeux.

Le privé fait de bonnes choses, mais il fait aussi d’immenses dégâts. Je pense qu’il faut revenir dans ce domaine-là à un peu plus de mesure. On sait qu’on a besoin de service public dans ce pays, que l’intérêt public doit être préservé par le pouvoir politique et il faut arrêter de fantasmer sur un privé où tout serait parfait, où tout serait bien. Il y a malheureusement des exemples tous les jours qui nous montrent que le privé c’est parfois ce qu’il y a de plus terrible.

Dans les territoires ruraux, et parfois victimes d’enclavement, c’est d’ailleurs une habitude de se battre pour conserver ses services publics, n’est-ce pas ?

Oui, c’est pour cela que notre association existe et qu’il faut surtout savoir se regrouper. On a fait une déclaration, avant le rapport Duron, et avant l’accident, dans laquelle on appelle vraiment tout le monde, aujourd’hui, à se rassembler, y compris les élus, et les gens qui défendaient le barreau Limoges-Poitiers. J’ai vu que le président du Conseil Régional du Limousin, Jean-Paul Denanot, faisait un petit peu la même proposition. Moi je propose que tout le monde se rassemble quels que soient ses choix économiques, politiques, pour regarder comment on modernise cette ligne classique POLT, comment on agit tous ensemble pour qu’elle devienne une ligne performante. Il se trouve qu’aujourd’hui, malheureusement il y a eu cet accident. Mais il se trouve aussi que des perspectives s’ouvrent, qui n’existaient pas, ou moins, auparavant. Il faut tout faire pour faire avancer cette ligne.

Pour vous le POLT n’est donc plus en danger ?

Le problème est quand même assez simple. Le rapport Duron a donné son point de vue, le Premier ministre a suivi dans les grandes lignes dans les rapports en disant priorité aux lignes classiques et le barreau Poitiers-Limoges est renvoyé au delà de 2030.

Si on veut desservir correctement aujourd’hui Limoges, Brive, Cahors, etc., il vaut mieux s’y mettre tous ensemble, pour moderniser cette ligne classique. Parce qu’on peut permettre très rapidement à Limoges d’être à 2h30 de Paris. Après, il faut arrêter de pleurer pour 10 minutes de trajet, surtout quand on connaît le prix, par LGV, de ces 10 minutes. On saura, lorsqu’il y aura la question de la ligne Paris-Orléans-Clermont-Lyon, mettre Limoges pratiquement à 2h de Paris et on s’apercevra que le barreau, dans ces conditions, il n’y en aura plus besoin

Autant j’ai compris dans le début des années 2000 la volonté du Limousin de trouver une solution et de se tourner vers ce barreau, cela me paraissait profondément humain, autant je pense qu’aujourd’hui les solutions ont changé à tout point de vue, avec un choix politique du gouvernement disant priorité aux lignes classiques et la perspective d’un axe POCL en LGV. On n’est plus du tout dans le même contexte, et je pense qu’en 2030, pour tout dire, la question du barreau Poitiers-Limoges ne se posera plus car il y aura une autre solution que celle ci.