Bonnets rouges et gros benêts

bonnet industrieTrois bonnes raisons de ne pas faire l'écotaxe

Par Rémy Prud'homme

paru dans lesEchos

L'écotaxe est généralement présentée comme un impôt maladroitement vendu mais foncièrement désirable. Ses défenseurs avancent trois arguments : les camions ne paient pas les coûts qu'ils infligent à la société ; l'écotaxe va entraîner un vertueux report modal vers le fret ferroviaire ; et le système fonctionne à merveille dans la plupart des autres pays européens. Aucun de ces arguments ne résiste à un examen chiffré.

Les camions paient déjà des taxes bien plus élevées que les coûts d'investissement et d'entretien des routes qu'ils utilisent. Le gazole avec lequel ils roulent est, après le tabac et l'essence, le troisième produit le plus taxé de France.

Les taxes spécifiques (payées en plus des taxes normales comme la TVA ou l'impôt sur les sociétés) à la charge des camions s'élèvent ainsi à près de 6 milliards d'euros par an. Les dépenses des administrations pour les routes imputables aux camions sont inférieures à 1,5 milliard. La contribution nette des camions aux finances publiques dépasse donc 4 milliards. Cela vient en partie du fait qu'une proportion importante de la circulation des camions a lieu sur des autoroutes concédées ; sur ces voies ils paient des péages qui couvrent tous les coûts d'investissement et d'entretien, et ils paient en plus les taxes sur le gazole.

Le report modal est un mirage. Cela fait des décennies que les plans fret prévoyant un doublement ou un triplement du fret ferroviaire se succèdent, à coup de gros paquets de milliards d'euros. Le fret ferroviaire est subventionné par le contribuable à hauteur d'au moins 70 %. Malgré tout cela, il décline inexorablement. En valeur (ce que paient les entreprises pour le transport de leurs marchandises), il représente actuellement 2 % du transport par camion. Si les poulets bretons ne peuvent plus voyager par camions, ils ne voyageront pas pour autant par le train : ils ne voyageront pas du tout, et ne seront plus produits. Il est sans doute chic de préférer le mode subventionné (le rail) au mode subventionneur (le camion), mais il est illusoire de croire qu'une taxe de plus, même assortie d'un plan fret de plus, pourrait beaucoup changer le poids relatif des deux modes.

Les expériences étrangères ne signifient pas grand-chose. L'Allemagne, la vertueuse Allemagne, a une écotaxe, voilà qui prouve qu'il nous en faut une. Mais ceux qui nous répètent cela omettent soigneusement de préciser : premièrement que la taxe allemande ne concerne que les camions de plus de 12 tonnes, alors que la taxe française pénalise tous les camions à partir de 3,5 tonnes ; et deuxièmement que les autoroutes sont gratuites en Allemagne et à péage en France. L'écotaxe limitée aux gros camions en échange de la gratuité des autoroutes ? Beaucoup de transporteurs diraient : chiche ! Il n'y a pas que l'Allemagne à avoir une écotaxe, mais également l'Autriche, la République tchèque, la Pologne, la Slovaquie, le Portugal, et ces pays l'appliquent à tous les camions. Pourquoi escamoter le fait que ces pays ont en même temps une fiscalité du gazole bien plus légère que la nôtre (de 8 % à 15 %) ?

L'écotaxe nous vient des lubies de la Commission européenne, amplifiées par le cinéma du Grenelle de l'environnement. Les camions étaient alors, avec les OGM et l'électricité nucléaire, l'une des trois bêtes noires des écologistes (on a rajouté le gaz de schiste). Tout était bon pour punir, contrôler, charger, éliminer, les camions, et les renvoyer au diable dont ils sont l'émanation. Surtout, se garder d'examiner la contribution des camions à la mobilité des biens et aux finances publiques, et donc à la lutte contre le chômage. Mais la réalité, chassée par la porte, revient par la fenêtre, criée très fort par de modestes agriculteurs, ouvriers ou transporteurs bretons. L'écotaxe a été la dernière paille qui brise le dos du chameau.

Comme l'écrit Goya dans une gravure célèbre, « le sommeil de la raison produit des monstres ».

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme est professeur émérite des universités